Hommage et reconnaissance
6 Mai 2013
Texte paru dans Magazine n'GO de l'ONG Echos Communication investie dans le développement humain durable.
«Lors de mes premiers voyages dans ce qu’on appelait à l’époque le Tiers Monde, j’ai découvert que j’avais une culture. J’étais un peu comme un poisson : tant qu’il est dans l’eau, il ne s’en rend pas compte, mais si tu le mets à l’air libre, il subi un choc culturel. » Plongé depuis l’enfance dans le bain de la modernité, Thierry Verhelst s’éprend de curiosité pour le monde qui l’entoure pendant ses études universitaires. « Dans les années 60, la plupart des pays d’Asie et d’Afrique prenaient leur indépendance. J’avais l’impression que c’est là que ça se passait et cela m’a donné l’envie de partir. À 25 ans, j’étais le bon coopérant qui venait remplacer le méchant colon. »
Quel développement ?
Armé de savoirs, de quelques certitudes et de bonne volonté, Thierry Verhelst comprend au fil des années que les diplômes et les connaissances ne sont qu’une partie de l’équation. « Quand j’étudiais aux États-Unis, on nous disait que nous deviendrions des ingénieurs du social (social engineering), comme si la société était une machine que l’on pouvait réparer. Quelle arrogance ! Et quelle stupidité ! Ce que j’ai appris sur le terrain c’est qu’au niveau des aspirations profondes, de la conception et de l’utilisation du temps et de l’espace, des cosmologies, du sens de la famille élargie ; chacun a des attentes très différentes. Les échecs innombrables des ONG sont dus au fait qu’il y a des malentendus fondamentaux sur ce que l’on veut atteindre. Bien sûr les approches techniques de l’agronome, du médecin ou de l’économiste ont de la valeur, mais elles ne sont pas suffisantes. Le concept de développement, produit par le monde occidental moderne et basé sur l’économie, la croissance et la productivité, est un piège ethnocentrique. Development is a toxic word ! Il veut dire : “tu vas t’occidentaliser”. »
Épousailles interculturelles
Thierry Verhelst préfère de loin les notions d’épanouissement et d’épousailles interculturelles. « Grâce à la mondialisation, qui réduit les distances et facilite la communication, nous avons une chance historique d’apprendre les uns des autres. Le Nord a bien entendu des choses à partager : des valeurs telles que l’égalité homme-femme, la démocratie, les droits de l’Homme, l’émancipation individuelle sont des acquis indéniables. Mais en chemin, le sacré a été complètement exclu. Pour moi, la chose la plus importante que nous pouvons apprendre du Sud est la place laissée au spirituel. C’est un des éléments constitutifs de notre Humanité, mais il semblerait qu’on l’ait oublié. Après, chacun apprendra en fonction de sa sensibilité. Par rapport à la vie en société, à l’économie ou à la cosmologie, pour ne citer que ceux-là, il y a pas mal de choses qui peuvent nous influencer et nous enrichir. »
Analyser les échecs
Tiens, tiens... Le Nord qui prendrait exemple sur le Sud ! On est bien loin des tendances de ces dernières décennies. « Prenons trois phases de l’Histoire récente : la colonisation, la coopération au développement et la globalisation dans son horreur néolibérale. Le point commun entre elles, c’est que l’homme blanc est au centre de l’action et se prend pour le modèle unique. Il est temps de quitter cette arrogance. Quand j’ai sorti Des racines pour vivre, le message a été mal reçu. On disait que je devenais conservateur parce que je parlais du respect de la culture alors que les “vrais” problèmes étaient la faim dans le monde, les épidémies ou les problèmes d’infrastructures. Selon moi, il s’agissait toujours de répondre à ces réalités-là. Je proposais simplement d’analyser les causes des échecs répétés du secteur. La non-prise en compte de l’environnement culturel occupait une place importante (mais non unique) dans cette analyse. »
Aujourd’hui, pas loin de 30 ans plus tard, Thierry Verhelst constate que la situation a évolué dans le bon sens. « Il y a plus d’ouverture , c’est un fait, mais cela reste une thématique peu évidente à aborder. La culture c’est impalpable, pas mesurable, sa prise en compte est difficile à évaluer. De plus, elle sort des critères de professionnalisation de plus en plus exigeants imposés par le cofinancement. Si une ONG est financée par la Commission Européenne, elle devra envoyer ses rapports à un fonctionnaire qui en référera au commissaire qui lui-même devra défendre sa politique face au Parlement. C’est donc beaucoup plus facile de parler d’hectolitres que de parler d’humains et de traditions. Pourtant la réalité est holistique. Elle ne se comprend que par une approche interdisciplinaire alliant sciences exactes et sciences humaines. »
Faut-il encore partir en coopération ?
Cette question, il l’a souvent entendue. Et à chaque fois la réponse fut la même. « Il faut continuer à entretenir des relations entre le Nord et le Sud, à la recherche de plus de justice sociale et pour s’attaquer aux défis planétaires comme le réchauffement climatique. Mais l’attitude avec laquelle on part est essentielle. La métaphore souvent utilisée est celle de la sage femme qui vient apporter un savoir complémentaire et offre un appui à l’expérience des futurs parents. Ça c’est de la coopération : apporter un savoir complémentaire qui va enrichir l’autre. » Et le mécanisme fonctionne dans les deux sens. Évidemment ! « Un ami congolais m’a dit “J’ai vu ta nuque. Toi tu n’as jamais vu ta nuque”. On ne peut que lui donner raison. Cela signifie qu’on a tous quelque chose à apprendre des autres. »
Quand il donnait cours, ou en conclusion de ses conférences, Thierry Verhelst a pris pour habitude de finir sur la même note. « Si vous devez retenir une seule chose de tout ce que je vous ai raconté, c’est le respect. » Le conseil est simple, son application à la portée de tous et en parfaite cohérence avec la pensée de Thierry Verhelst. « Le Sud n’est pas un vide à remplir mais une plénitude à découvrir avec notre humanité profonde. »
Thierry Verhelst critique vigoureusement l’arrogance de l’homme moderne et occidental ainsi que les dégâts causés par l’idéologie capitaliste. Selon lui, un changement est plus que nécessaire dans nos sociétés du Nord. Une mutation qui semble déjà en cours. Une étude menée par un sociologue et une psychologue américains a mis en lumière l’existence d’un très large groupe socio-culturel qui prône un virage sociétal orienté notamment par l’intégration des valeurs écologiques et le développement personnel.